Ce que le Madleen dit du Mavi Marmara — et de nous

Greta monte sur un bateau. Et Internet explose.

Greta Thunberg, militante écolo que même les climatosceptiques finissent par reconnaître en cauchemar récurrent, a embarqué sur un voilier humanitaire à destination de Gaza. Pas pour faire joli sur Instagram, pas pour une croisière bio-éthique – non, pour protester contre un blocus militaire illégal qui étouffe deux millions de personnes depuis presque vingt ans. En gros : la routine de Greta. Conscience politique, courage, et zéro moteur diesel.
Et là, comme prévu, la machine médiatico-politique israélienne a explosé. Greta, complice du Hamas ? Antisémite ? Supplétive du terrorisme sous bannière verte ? Il aura fallu environ une demi-journée pour transformer une militante non violente en danger pour la sécurité nationale d’un État nucléarisé. On ne sait pas ce qu’ils fument, mais c’est visiblement plus fort que du gaz lacrymo.
Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que ce n’est pas qui monte sur le bateau qui dérange. C’est va le bateau. Et ce qu’il révèle en y allant.

Accusations absurdes, révélations involontaires

Ce qui frappe le plus, ce ne sont pas les accusations elles-mêmes — on les connaît par cœur : « complice du Hamas », « antisémite masquée », « militante d’extrême gauche radicalisée par le tofu ». Non, ce qui est vraiment comique, c’est que personne n’y croit. Même pas ceux qui les relaient. Même pas les éditorialistes les plus excités, qui tentent péniblement de faire passer Greta Thunberg pour une menace géopolitique majeure, la voix tremblotante et le regard fuyant.
Parce que voilà : Greta, c’est pas exactement un personnage ambigu. Elle ne tient pas de double discours, elle ne planque pas des missiles dans ses sacs à dos. Elle parle lentement, cite des rapports scientifiques, et refuse de prendre l’avion pour des raisons climatiques. Si c’est ça, la terreur islamiste, on a changé de définition depuis Ben Laden.
Et pourtant, la propagande tourne. Les communiqués tombent, les plateaux s’enflamment, les titres s’alignent : « Greta trouble-fête », « Provocation internationale », « Nouveau visage de la haine anti-Israël ». Tout le monde sait que c’est grotesque, mais tout le monde le dit quand même. Comme si l’absurdité faisait partie du protocole : on ne critique pas Israël sans devoir encaisser, même si l’accusation est aussi crédible qu’un crocodile végétarien.
Et c’est là que c’est révélateur : ce n’est pas Greta qu’on tente de discréditer. C’est le message qu’elle porte. Peu importe l’émetteur — vieux, jeune, juif, chrétien, athée, climatologue ou jardinier. Quiconque parle de Gaza devient suspect. Et comme Greta est inattaquable, on l’attaque quand même. Par réflexe. Par habitude. Par besoin de faire taire l’image qu’elle envoie au monde.

Humanitaire = terroriste : le logiciel par défaut

Il faut comprendre une chose essentielle : dans le logiciel politico-militaire israélien, tout ce qui flotte vers Gaza est suspect. Un bateau avec des armes ? Menace terroriste. Un bateau avec des médicaments ? Menace terroriste. Un bateau avec des clowns pour enfants traumatisés ? Menace terroriste, mais avec le nez rouge. Et là, un voilier avec une militante pacifiste mondialement connue ? Eh bien… menace terroriste. Version 2.0, écologique et médiatique.
La logique est simple et implacable : si tu aides Gaza, tu aides le Hamas. Si tu parles des souffrances civiles, tu fais de la « désinformation ». Si tu dénonces un blocus militaire, tu es forcément dans le camp des extrémistes. Il n’y a plus de zone grise, plus de nuance : c’est binaire. Et surtout, c’est très pratique.
Ce mécanisme n’a rien de nouveau. Il a été rodé pendant des années. Chaque voix critique est immédiatement reléguée au rang de complice du mal. Et plus elle est audible, plus la réponse est violente. Pas besoin de débattre sur le fond : il suffit de salir. C’est propre, rapide, et ça évite de parler du blocus, du droit international, ou des morts qu’on accumule sans procès.
Et c’est là que Greta devient un grain de sable insupportable. Parce qu’elle est trop visible, trop connue, trop irréprochable. Elle n’entre pas dans les cases habituelles. On ne peut pas la renvoyer à un « milieu radical », à un « discours haineux », à une « propagande islamiste ». Alors on fait comme si. On plaque les vieilles grilles sur un visage mondialement connu, et tant pis si ça ressemble à coller une moustache de dictateur sur une figurine Lego.

Pourquoi les médias (français) relaient une propagande qu’ils savent grotesque

Ce qui est fascinant dans cette affaire, ce n’est pas seulement qu’Israël dégaine des accusations absurdes. C’est que les médias français les répètent, les relayent, les insèrent dans leurs papiers — tout en sachant très bien que c’est du flan. On sent la gêne. Le ton hésitant. Les périphrases. Les conditionnels. Mais on y va quand même. Parce que c’est la ligne. Parce qu’on a « recopié le communiqué ». Et surtout : parce qu’on ne veut pas prendre de risques.
C’est devenu une mécanique quasi pavlovienne : à chaque fois qu’un événement concerne Gaza, la plupart des rédactions mainstream activent le mode « équilibre artificiel ». On ne dit pas « Israël bombarde une école ». On dit « affrontements meurtriers entre Tsahal et des groupes armés ». On ne dit pas « un blocus illégal tue à petit feu deux millions de civils ». On dit « la situation humanitaire se dégrade dans un contexte de tensions ».
Et là, quand Greta Thunberg monte sur un bateau avec des médicaments, des panneaux solaires et des intentions pacifiques, il faudrait trouver un moyen de rendre ça « controversé ». Alors on force. On tort le récit. On va chercher la petite phrase, le petit soupçon, la petite provocation — pour équilibrer l’inéquilibrable.
Pourquoi ? Pour plusieurs raisons, toutes aussi navrantes les unes que les autres :
Parce qu’il ne faut pas froisser l’allié israélien,


Parce que critiquer Israël, c’est prendre le risque de se faire accuser d’antisémitisme (même quand on cite l’ONU),


Parce que le conflit est complexe, donc autant ne pas s’engager,


Et surtout, parce que la plupart des grands médias français penchent de plus en plus à droite — et qu’à droite, Gaza, c’est forcément suspect.


Résultat : une Greta Thunberg solidaire devient une figure « polarisante ». Pas à cause de ce qu’elle fait, mais parce que ce qu’elle fait dérange l’ordre narratif établi. Et dans les rédactions, même les plus cyniques savent que ça ne tient pas debout — mais ils préfèrent l’absurde au silence radio. Parce qu’en France, mieux vaut dire une énormité calibrée que de risquer de dire la vérité trop frontalement.

Retour vers l’oubli : le Mavi Marmara, ou comment on a tiré sur l’humanitaire

Il y a quinze ans, un autre bateau a tenté de briser le blocus de Gaza. Moins célèbre. Moins médiatisé. Et beaucoup plus violemment accueilli. C’était le Mavi Marmara, navire amiral de la Flottille de la Liberté, partie de Turquie en mai 2010 avec à son bord des centaines de militants, des journalistes, du matériel médical… et pas une seule kalach. Objectif : forcer le monde à regarder la réalité du blocus — déjà intenable à l’époque.
Ce qu’ils ont reçu en échange ? Une opération commando israélienne en pleine mer, à l’aube, avec hélicos, armes automatiques et balles réelles. Résultat : 10 morts, tous civils. Le tout, dans les eaux internationales. Et pour ceux qui se demandent si Israël a été sanctionné pour ça, on va leur éviter une recherche Google : non. Rien. Un petit rapport ONU. Deux déclarations molles. Et tout le monde est retourné bruncher.
Le message, à l’époque, était limpide : pas de témoin, pas de scandale. Et surtout, pas de figure assez connue à bord pour obliger les caméras à rester braquées. Le Mavi Marmara, dans le récit dominant, a fini classé au rayon « incident regrettable », comme si on parlait d’une manœuvre ratée, pas d’un massacre organisé.
C’est là qu’intervient le vrai rôle de Greta. Pas de faire diversion. Mais d’empêcher la répétition. Parce qu’en montant à bord du Madleen, elle embarque aussi le regard du monde. Et ça change tout. Les militaires doivent réfléchir. Les médias doivent couvrir. Les chancelleries doivent réagir. En 2010, ils ont tiré. En 2025, ils tweetent. Et non, ce n’est pas parce qu’Israël s’est adouci. C’est parce que quelqu’un a mis une lumière trop forte sur la scène.

Greta, gilet pare-balles médiatique

Greta n’est pas montée sur ce bateau pour se faire remarquer. Elle l’était déjà. Elle n’en avait pas besoin. Si elle voulait faire du bruit, elle aurait posté un tweet sur le méthane ou une vidéo avec un pingouin. Ce qu’elle a fait, en revanche, c’est bien plus stratégique : elle a mis sa notoriété au service des autres. Elle a offert son visage, son aura, son nom, pour qu’on ne puisse plus détourner les yeux.
Parce que dans ce genre de mission, l’anonymat est dangereux. Un citoyen lambda à bord ? On peut le faire taire, le diaboliser, l’arrêter, voire pire — sans que personne ne lève un sourcil. Mais Greta, on ne peut pas la passer sous silence. Elle est le pare-chocs médiatique. Le gilet pare-balles symbolique. L’élément qui empêche l’effacement.
Et c’est là que réside tout l’intérêt de sa présence. Elle n’a pas détourné l’attention — elle l’a forcée. Sans elle, ce bateau aurait été un entrefilet, un « incident » vite enterré sous le bruit de fond des chroniques sécuritaires. Avec elle, c’est un évènement mondial, impossible à ignorer, et surtout : impossible à réprimer brutalement sans que ça se voie.
En fait, elle a inversé la logique du Mavi Marmara. En 2010, ils ont tiré dans l’ombre. En 2025, ils ont dû négocier en pleine lumière. Et si certains crient à la manipulation médiatique, c’est surtout parce qu’ils n’aiment pas qu’on allume les projecteurs quand ils comptaient agir dans le noir.

Le vrai problème, c’est pas Greta — c’est ce qu’elle montre

Depuis le début, tout est fait pour qu’on parle de Greta. Pour qu’on débatte de sa présence, de ses intentions, de sa « radicalisation », de son « coup médiatique ». Et ça marche — un peu. Mais ça trahit surtout un malaise profond : le vrai sujet est tellement indéfendable qu’il faut à tout prix en parler le moins possible.
Parce que derrière le bateau, il y a un blocus illégal, condamné par l’ONU, par Amnesty International, par Médecins sans Frontières, et même par quelques diplomates qui ont encore une colonne vertébrale. Un blocus qui transforme un territoire en prison à ciel ouvert. Où deux millions de personnes, dont une majorité d’enfants, vivent sans accès correct à l’eau, à l’électricité, aux soins. Pas à cause d’un tsunami, pas à cause d’un cyclone. À cause d’un choix politique assumé.
Mais dire ça, c’est déjà trop. Alors on détourne. On déplace. On fait porter la polémique sur la figure visible, plutôt que sur l’horreur invisible. C’est la méthode habituelle : shooter le messager pour qu’on oublie le message. Et quand le messager s’appelle Greta Thunberg, c’est plus difficile.
Alors on tente quand même. On crie à la manipulation. On sort les grands mots — « provo », « extrême », « naïve », « dangereuse ». On hurle à l’instrumentalisation. Comme si ce qui gênait, ce n’était pas la forme… mais bien le fond : Gaza, ses ruines, ses enfants, et le silence complice qui entoure tout ça depuis trop longtemps.
Greta n’a pas volé la vedette. Elle a juste forcé la caméra à rester braquée sur la scène du crime.

Le doigt et la lune : regardez bien ce qu’on vous dit de ne pas voir

C’est une vieille image zen, mais elle fonctionne toujours aussi bien : quand le doigt montre la lune, l’idiot regarde le doigt. Et là, c’est exactement ce qu’on nous pousse à faire. Greta, c’est le doigt. Le bateau, c’est le doigt. La polémique, les tweets, les éditos outragés : encore le doigt.
Mais la lune, c’est Gaza. C’est le blocus. C’est l’enfermement collectif d’une population sous prétexte de sécurité. C’est le droit international piétiné. Ce sont les enfants qui grandissent sans lumière, les hôpitaux sans matériel, les pêcheurs tirés dessus à 500 mètres du rivage. C’est ça qu’on veut éviter que vous regardiez.
Greta ne cherche pas à se faire aimer. Elle cherche à obliger les regards à se porter là où ils n’aiment pas aller. Elle utilise son nom non pour occuper la scène, mais pour empêcher qu’on l’efface. Et si son simple passage sur un bateau suffit à déclencher autant d’hystérie, ce n’est pas parce qu’elle est dangereuse — c’est parce que ce qu’elle révèle l’est.
Alors oui, regardez le doigt. Mais ensuite, faites ce qu’ils essaient de vous empêcher de faire : levez les yeux. Regardez la lune. Et demandez-vous pourquoi tant de monde veut la cacher.







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